Philippe Sollers

 

Philippe Sollers, Julia Kristeva - Du mariage considéré comme un des beaux-arts, Fayard, 2015

 

Philippe Sollers :

 

« Je n'ai jamais songé à me marier. Sauf une fois. Et une fois pour toutes.

Cette aventure singulière, et très passionnée, méri­tait, je crois, d'être racontée en détail.»

 

Julia Kristeva :

 

« Nous sommes un couple formé de deux étrangers. Notre différence nationale souligne encore mieux une évidence qu'on se dissimule souvent: l'homme et la femme sont des étrangers l'un à l'autre. Or le couple qui assume la liberté de ces deux étrangers peut devenir un véritable champ de bataille. D'où la nécessité d'harmoniser. La fidélité est une sorte d'harmonisation de l'étrangeté. Si vous permettez que l'autre soit aussi étranger que vous-même, l'harmonie revient. Les « couacs » se transforment alors en éléments de la symphonie. »

 

 

Du mariage considéré comme un des beaux-arts rassemble quatre dialogues (échelonnés de 1990 à 2014) entre Julia Kristeva et Philippe Sollers, à travers lesquels ils nous transmettent leur expérience d'écrivains et d'intellectuels engagés au regard de la rencontre amoureuse et du couple.

 

 

 

TABLE

 

Aventure

Avant-propos de Philippe Sollers                

 

Accorder nos étrangetés

Avant-propos de Julia Kristeva          

 

I.       Complicités, rires, blessures             

II.      L'expérience intérieure à contre-courant               

III.     Enfance et jeunesse d'un écrivain français                

IV.      L'amour de l'autre              

Fayard, 2015

 

 


Julia Kristeva et Philippe Sollers

France Info, Un monde d'idées, Olivier de Lagarde, 8 juin 2015

 


 

Julia Kristeva et Philippe Sollers

Le 7/9 du week-end / France Inter, par Patricia Martin, 7 juin 2015

 


 

Arte 28 minutes, 18 mai 2015, par Elisabeth Quin

 

 

Bibliothèque Médicis, 15 mai 2015, par Jean-Pierre Elkkabach

 

 

Europe 1 Social Club - 15/06/15, Frédéric Taddeï

 


 

Philippe Sollers & Julia Kristeva, photo: G.K.Galabov

Julia Kristeva et Philippe Sollers sur France Inter, dimanche matin. Ils viennent de publier Du mariage considéré comme un des beaux-arts (Fayard, 2015)

 

 

Julia-Kristeva-Philippe-Sollers-photo-Samuel-Kirszenbaum-Liberation-Juillet 2015

 

 

Philippe Sollers Julia Kristeva
 

 

 

Philippe Sollers Julia Kristeva

Une rencontre permanente
Psychologies Magazine, septembre 2015

 

 

 

Pivot

Des écrivains passés en revue, par Bernard Pivot

 

 

Julia Kristeva Philippe Sollers

Le Figaro du 9 avril 2015

Du mariage considéré comme un des beaux-arts

 

 

 


 

 

extrait

Enfance et jeunesse d'un écrivain français

  Julia Kristeva

 

...

  « Écrivain français », et davantage encore « le plus français des écrivains français» : tel m'est apparu Philippe Sollers quand l'étudiante que j'étais l'a rencontré à mon arrivée de ma Bulgarie natale en France. Cette conviction s'est confirmée et approfondie tout au long de l'évolution de son écriture : du Parc, Lois, H et Paradis à La Guerre du Goût, Une vie divine, La Fête à Venise, Un vrai roman ou Discours Parfait. Tant il est vrai que celui qu'on a pu appeler « Le neveu de Diderot » — entendez Philippe Sollers, est « incorrigiblement français », au sens délié de ce terme que nous ont laissé le XVIIIe siècle et cette manière toute française de penser en roman. Je dis « roman » et je pense à ce roman français où l'on aime beaucoup et parle tout autant, où l'on dialogue et monologue éperdument, dans la tradition de Voltaire et de Stendhal, et où la curiosité et la vivacité encyclopédique et joyeuse donnent au lecteur le goût de Rabelais, Molière et Watteau, de Manet et Fragonard à Cézanne et Picasso, d'Artaud et de Van Gogh, de Mozart et de Nietzsche, de Freud et de Joyce, de Courbet et de Céline. Roman français comme est français aussi le port de Bordeaux — ce bord de l'eau appelant Venise, tout en s'ouvrant vers l'Angleterre, et où le premier parlement français vote l'émancipation des juifs, ce qui ne saurait faire oublier que les étoiles jaunes sont réapparues sous l'Occupation nazie...

  Vous comprenez que «français» est à entendre chez Sollers au sens où l' «identité nationale » — telle que la construit la grande littérature, et plus que tout autre, la grande littérature française — est le plus efficace des antidépresseurs. Pourquoi? Parce que c'est dans l'expérience littéraire, c'est-à-dire du langage forcément sensible et du récit immanquablement historique, que l'histoire de France a construit un équivalent du sacré, unique au monde. Tous les peuples ont des littératures. Mais c'est seulement en France que la littérature rivalise comme expérience avec celle du sacré, parce quelle a réussi à faire entendre que l'identité (personnelle, sexuelle et aussi nationale) n'est pas un culte, mais une question une perpétuelle mise en question qui ne cesse de s'écrire, précisément. Contre ceux qui revendiquent l'identité nationale comme une protection contre les «autres», notamment les migrants, contre ceux qui refusent d'admettre l'importance de l'identité parce qu'il leur manque le courage de la traverser en la pensant —, l'écrivain français qu'est Philippe Sollers mène sa « guerre du goût » dans un pays qui est celui de la langue française telle qu'elle s'est forgée dans la longue histoire de ce peuple et tout particulièrement à travers la diversité de ses écrivains.

  On me dit même, de l'autre côté de l'Atlantique, que Sollers est  too french. Il est de bon ton d'éviter aujourd'hui l'adjectif « français » il paraît que ça sonne nationaliste. Tout au plus, certains se disent-ils « francophones » cela fait plus cosmopolite bien que postcolonial et victimaire, mais tant pis, ça ira quand même, pour cibler la culpabilité d'être français. Rien de tel chez Philippe Sollers, auteur des Folies françaises.

  Rien de tel chez toi. L'enfant et l'adolescent de Bordeaux — que tu aimes revisiter dans tes romans et essais — ne cesse de sublimer — du dedans et du dehors — la mémoire récente ou ancienne mais aussi l'actualité de cette France dont tu incarnes la musique du verbe et la physique des corps. Pour en rire et en pleurer. Avec les grands Bordelais bien sûr, de Montaigne, La Boétie et Montesquieu à Mauriac, mais aussi une pléiade de préférés Pascal, Saint-Simon, Sade, Lautréamont, Rimbaud, André Breton, Georges Bataille, Paul Morand ou Sartre, et je n'oublie pas les femmes — Sévigné et même Beauvoir...

  C'est cette francité-là, faite non de culte mais de question de goût, de pensées et d'éclats de rire que tu pratiques, et c'est elle qui m'a séduite, on l'aura compris. N'est-ce pas cette vision française, cette écriture française — au sens où l'écriture est un destin et un projet —, qui manquent au contrat social actuel, en quête de son introuvable refondation ? Et si c'était cela, la fondation qui manque le goût d'assimiler en l'incarnant la mémoire politique et littéraire, littéraire et politique, pour ainsi seulement la faire renaître qu'elle se réincarne sans cesse, qu'elle réinvente sa vitalité.

En ce temps de détresse, ta façon de mener une guerre du goût avec et dans l'identité nationale, à travers et dans la mémoire de sa langue, de sa littérature et de son histoire politique cela paraît scandaleux, c'est scandaleux. Est-ce même possible ?

  En te lisant, j'ai le sentiment que tu nous dis : c'est possible parce que j'ai gardé vivantes en moi l'enfance et la jeunesse. À moins que ce ne soit possible parce que tu pratiques l'écriture comme une perpétuelle guerre du goût avec toute identité, position, pause, valeur, dogme, poncif, absolu etc., telle sorte que ceux qui te lisent ne reçoivent pas ton étrangeté comme le cri de douleur d'une catastrophe totalitaire, ou comme l'aveu d'un mal-être psychique, ni même comme le rejet d'une exclusion sociale ou raciale autant de thèmes dans lesquels se plaît le marketing éditorial. Non, ton étrangeté, ta dérangeante singularité qui commande ta réécriture de la langue française nous revient comme celle d'une enfance et d'une jeunesse perpétuelle. Quelle enfance ? Quelle jeunesse ?

  L'enfance que tu nous fais lire et rencontrer n'est pas — on s'en doute — la divine innocence de l'Enfant Jésus ni la pureté naturelle de l'enfant rousseauiste. Plus proche de Freud, l'enfant introduit dans tes livres la plénitude des sensations des douleurs, plaisirs ou maladies saisis avec une clarté classique qui rejoint la formule hallucinatoire et poétique, jusqu'aux saveurs bordelaises et aux secrets de tes personnages esquissés comme des concepts sensibles — tels les hommes et des femmes de ce Sud-Ouest français dans lequel Hölderlin a vu se perpétuer le miracle grec. L'enfant Sollers serait-il un chercheur en laboratoire qui préfigure l'avide curiosité de l'écrivain à pseudonyme : comme Ulysse dont Homère nous dit qu'il est polutropos, l'homme aux mille tours, en latin sollers/sollertis — le rusé, l'habile, l'insaisissable ?

  Quant à l'adolescent, il me permet de mieux entendre les ados qui viennent me consulter. L'adolescent Sollers est un croyant puisqu'il est en quête d'idéal politique, amoureux, psychique, et puisqu'il croit dur comme fer que le Paradis existe, il est forcément en guerre. L'adolescent Sollers est un croyant révolté, il ne cesse de réinventer son paradis. Adam et Ève étaient des adolescents, Dante et Béatrice aussi, nous sommes tous des adolescents quand nous sommes amoureux.

  Admirateur de Baudelaire et de Stendhal, tu aurais pu dire comme l'auteur de La Chartreuse de Parme « Oui, je reviens à toi, berceau de mon enfance », ou comme celui des Fleurs du mal : « Le génie n'est que l'enfance nettement formulée ». Mais tu ne le fais pas, parce que tu n'y «reviens» pas à proprement parler («La littérature c'est l'enfance retrouvée à volonté», encore Rimbaud et Bataille — mais pas toi). Tu n'as pas non plus le chagrin voluptueux de Marcel Proust à la recherche du temps perdu. Encore moins la « souffrance » de Bernanos qui « une fois sorti de l'enfance », peine « très longtemps » pour retrouver « tout au bout de la nuit une nouvelle aurore». Au contraire, tu traverses l'enfance sans la quitter — comme le sage taoïste qui prétend être «le seul qui se nourrit de la mère». Parce que tu déplaces ton enfance et ta jeunesse au moment présent, ici même et aujourd'hui.

  C'est ici et maintenant que tu les revis par écrit. Comment ? Mais c'est évident, c'est même « la lettre volée » au sens d'Edgar Poe le thème est si présent dans tes romans qu'on préfère le censurer, qu'on ne pense pas à lui attribuer l'aisance avec laquelle se perpétuent l'enfance et l'adolescence dans ta réécriture des identités, notamment l'identité française. La «lettre volée», c'est ce lien à la fois intime et rebelle que le narrateur de ton roman Femmes entretient avec les femmes et les mères. La perpétuelle curiosité qui t'anime s'enracine dans ta curiosité à l'endroit de l'autre sexe, et c'est elle qui irradie à l'infini sur l'Être et l'Histoire. Insatiable « point d'interrogation posé à l'endroit du plus grand sérieux » (comme s'exprime Nietzsche). Il se cristallise dans ton rire si sérieux qu'il paraît angoissé, à moins que ce ne soit une révolte respectueuse, ou encore un respect incrédule. Et comme personne ne se garde mieux qu'un être qui semble s'abandonner à tous, ton masque d'homme des médias — s'ajoutant à ce rire — abrite la solitude invisible d'un cœur aussi absolu que joueur.

 

 

Julia Kristeva

29 juin 2010

 

 

 

Julia Kristeva Philippe Sollers - Du mariage considéré comme un des beaux-arts

 

 

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