Philippe Sollers

 

 

 

Première édition

du Prix Philippe Sollers

remis au Café Beaubourg

 

 

 

 

 

 

 

Discours de remerciements de Romain Graziani

 

 

 

 

 

Mesdames et messieurs les membres du jury, chères et chers compagnons de table et de lectures,

 

Permettez-moi de saluer tout d’abord l’initiative de ce prix Philippe Sollers et la forme spirituelle  et spiritueuse — que vous lui avez donnée dès sa première édition. La frustration le dispute à l’embarras de ne pouvoir prendre place parmi vous ce soir et lever mon verre à la mémoire de celui qui nous rassemble.

 

Philippe Sollers étant l’auteur de deux ouvrages intitulés l’un Lois et l’autre Nombres, c’est à croire que l’essai aujourd’hui primé est le produit d’une sournoise machination pour se gagner les suffrages du jury par effet de résonance. Ce pourrait être là le point de départ d’une nouvelle de Borges, ou d’un nouvel essai de Pierre Bayard. Il s’agit d’une très heureuse coïncidence, qui fait écho à une autre d’il y a deux décennies. En 2005, relevé en pleine nuit par les effluves d’un incendie dans un immeuble mitoyen, j’ai trouvé Philippe Sollers dans la cour de son immeuble pami d’autres voisins, contemplant le feu faire son office ; après quelques propos décousus et ensommeillés, l’idée de lui transmettre le manuscrit m’a embrasé. Il a reçu ce texte avec un enthousiasme inattendu. Quelques discussions autour d’un bon verre de vin rue de Bourgogne ont permis de régler les détails de ces Fictions philosophiques du Tchouang-tseu, reparus cette semaine dans la collection TEL.

 

C’est dans le souvenir de cette rencontre décisive que je reçois ce soir ce prix, avec une immense gratitude, avec également le sentiment d’achever un long cycle éditorial et littéraire dont Sollers a donné l’amorce, dont Marcel Gauchet a assuré la suite, et, dont enfin, avec ce prix, vous marquez le point d’orgue. Soyez une fois encore vivement remerciés de votre patiente lecture, votre reconnaissance m’est un gage que le vieux taoïste en moi, ennemi de la rectitude, n’aura pas tout fait de travers.

 

Romain Graziani

Cambridge, 27 novembre 2025

 

 

Romain Graziani avec Philippe Sollers, 2005 (photo © Sophie Zhang)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les Lois et les Nombres, une archéologie de la domination - Romain Graziani

 

 

 


Longtemps associée à l’idéologie confucéenne prônant l’exemple personnel et le gouvernement par la vertu, la culture politique chinoise fut en réalité pionnière dans la mise au point de méthodes impersonnelles et automatiques pour établir l’ordre dans le cosmos, l’empire et la vie quotidienne. Ce fait, très largement occulté jusqu’ici, et pourtant sans cesse confirmé par les récentes découvertes archéologiques, invite à esquisser une nouvelle histoire générale de l’État chinois. Encore faut-il comprendre que ce que nous entendons dans les sociétés européennes par « lois » et « nombres » ne correspond que partiellement aux instruments développés en Chine, puisque les nombres ne s’y réduisent pas à des quantités, et que les lois sont décorrélées de toute idée de droit. En mobilisant des sources traditionnelles et inédites, touchant aux mathématiques, à la divination, aux exercices spirituels, aux codes pénaux, aux fictions poétiques du taoïsme ou aux arts de la guerre, Romain Graziani expose ici les formes théoriques et les évolutions concrètes de ce logos chinois.


Il retrace, en repartant de l’« expérience légiste », le processus de dépersonnalisation de l’autorité qui mène à l’expérience de l’État total, et montre comment ce paradigme fondé sur les lois et les données chiffrées a refaçonné durablement dans la société chinoise l’expérience du temps, la mobilité dans l’espace, la vision de l’autorité souveraine ; comment il a contribué à redéfinir la notion de travail, le rapport de l’individu à lui-même ; enfin, comment il a permis de formuler très tôt un projet de société structurée par les techniques d’information, de surveillance et de sécurité.


À l’extrême pointe de cette trajectoire reliant l’âge du bronze à l’ère digitale, l’entreprise plurimillénaire de « mise en nombre » du monde culmine désormais dans la restauration du culte antique de l’Un.

 

>>> lire un extrait
 

 

Le monde des livres du 20 mai 2025

 

 

Afin de marquer sa première édition le jury du Prix Philippe Sollers a choisi de récompenser deux ouvrages, un essai et un récit : Les Lois et les Nombres (Gallimard) de Romain Graziani et Feux sacrés (Grasset) de Cécile Guilbert.

 

 

 

 

 

 

 

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