Journal du mois

octobre 2011

Philippe Sollers
JDD
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Primaire


C'est entendu, François Hollande est président de la République pour les sept mois à venir. Comme il n'a aucune décision de pouvoir à prendre, il peut se donner du bon temps, peaufiner son programme, inquiéter ses alliés, distribuer les promesses. Tout ce qui ira mal sera de la faute de Sarkozy. L'euro s'effondre? C'est la faute à Sarko. Son charme n'opère plus sur Angela Merkel, qui lui offre pourtant un nounours pour son bébé? C'était fatal. Les banques boudent, la Grèce explose, l'Italie périclite, la crise s'aggrave, le triple A français est menacé? Sarko, toujours Sarko. Hollande, lui, plane, se réserve. Peut-il rassurer les marchés financiers? Non, mais les Français, pour l'instant, le plébiscitent. Martine Aubry a eu tort de le traiter de "gauche molle". Comme si les Français n'étaient pas pour une gauche molle! Bien sûr que si! Le Sénat pépère passe à gauche? La gauche flasque gagne du terrain partout. Échec de la droite dure, en tout cas, mais résurrection possible d'une droite tiède épaulée par un centre flou. Attention quand même à un Sarko survolté en avril 2012. D'ici là, le président Hollande doit soigner son triple A personnel. Que faire? Se marier d'abord, et, pour combattre le A de Carla et Giulia, adopter une petite fille d'origine hollandaise. Le prénom est tout trouvé : Juliana, en hommage à la célèbre Juliana, reine des Pays-Bas, de 1948 à 1980. Le président Hollande a eu quatre enfants avec Ségolène Royal, sa compagne actuelle en a eu trois d'un précédent mariage, il faut donc passer impérativement de sept enfants à huit, d'où la petite fille à rajouter au film. Hollande est normal, il doit donc normaliser son existence. On ne le voit pas, sauf coup de théâtre, reprendre une vie conjugale avec Ségolène Royal, laquelle est déjà, comme je l'ai annoncé, présidente de l'Assemblée nationale. Il faut donc que le président épouse "la femme de [s]a vie", et se présente en nouveau bon petit père tranquille. C'est le conseil de l'agence de notation Moody's. C'est aussi le mien, mais c'est Paris Match qui décide.


Printemps arabes


Je ne vais pas verser une larme sur le sort tragique de Kadhafi, mais je m'inquiète quand même de ces écœurantes images de chambre froide avec exposition du cadavre, avidement photographié par des voyeurs à portable. J'aimerais bien qu'on me parle des contrats en cours, d'argent, quoi, comme d'habitude. J'applaudis aux 90% de votants tunisiens, et je ne demande pas mieux que de croire à une évolution démocratique d'un islam modéré, genre turc. Il n'en reste pas moins que le grand vainqueur de la séquence guerrière en Libye est Bernard-Henri Lévy, comme le prouve son passionnant dernier livre, La Guerre sans l'aimer*. Lévy est un virtuose de la communication mais il a inventé une guérilla personnelle nouvelle. Qu'il soit dans un hôtel de luxe à Paris ou à New York, ou bien dans le désert ou à Benghazi, il voit tout, entend tout, se glisse partout, et téléphone par satellite. Le récit de ses entretiens téléphoniques avec Sarkozy pour le convaincre d'arrêter militairement un massacre inéluctable en recevant les responsables de la rébellion, est ahurissant. La ligne grésille, Sarkozy est d'accord, BHL va le voir à Paris, ils se tutoient comme au bon vieux temps, portraits précis et drôles, dialogues réussis, l'Histoire est un roman en train de s'écrire. Au passage, notre aventurier, qu'on devrait appeler maintenant Lévy d'Arabie (en référence à Lawrence, le super-as de la guérilla), livre des secrets personnels, notamment sur son père. Si on lui demande pourquoi, après tout, il mène cette vie épuisante (voyages incessants, téléphonages à toute heure), la réponse est là. Malraux a perdu la guerre d'Espagne, il gagne, lui, la guerre de Libye. Ça n'a pas de prix.


Autorité


Plus la corruption augmente, plus on vous tiendra au courant, avec retard, d'affaires anciennes. Valises ou mallettes d'autrefois, valse de billets fantômes, gâchis à Karachi, prestidigitations en tous genres. Voyez cette fourmi courir : elle vous cache une baleine pourtant, sous vos yeux. On se prend à rêver de choses impossibles, vérité, style, honnêteté, autorité, sainteté. Exemple, ce message n° 298, émis à 18 heures, le 6 juin 1942, en provenance des Forces françaises libres. Il est signé du général de Gaulle, et c'est une réprimande adressée au général Leclerc : "Dans votre compte rendu télégraphique du 3 juin, le troisième paragraphe n'est digne ni de moi ni de vous. Il n'est pas impossible que je commette des erreurs que mes subordonnés devraient ensuite réparer. Ce serait d'ailleurs leur simple devoir. Mais comme je porte la lourde charge de réparer les erreurs de tant d'autres, je dois vous rappeler au respect qui m'est dû." On dirait un pape s'adressant à un cardinal.


Encore DSK


À propos des papes, on vérifie tous les jours à quel point l'Église catholique occupe les fantasmes. Après un pape qui doute de son élection dans le film Habemus papam, nous voici brusquement, avec Les Borgia, chez des papes qui ne doutaient de rien en passant leur temps en orgies diverses. Oh, rendez-nous les Borgia! Arrêtez ce triste film réel DSK! Que peut-il se passer dans la tête de cet ex-président virtuel de la République? On ne saura pas, sauf si DSK s'explique lui-même. Cette nouvelle affaire lilloise laisse pantois. J'aime beaucoup le surnom du proxénète belge, acteur des fournitures "avec colis" dans les chambres de l'hôtel Carlton, "Dodo la saumure". Des flics compromis, des livraisons de prostituées à Washington, pourquoi tant de légèreté, tant d'imprudences? Libido compulsive? Viagra? Hallucination permanente? Que DSK accepte donc d'écrire ses Mémoires. Qu'il lise enfin, pour rougir, Histoire de ma vie, de Casanova. Qu'il raconte tout, avec détails. Je publie, on fait un tabac. Il faut élucider cette énigme de la nuit sexuelle. Titres possibles : "Les Affinités mystérieuses", ou bien (sujet très actuel) "La Virilité dans tous ses états".


* Grasset (en librairies le 9 novembre).

Philippe Sollers

Le Journal du Dimanche du 30 octobre 2011

 

 

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