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Mozart vous écrit

Picasso_Instruments_de_musique_1912 Mozart
Picasso, Instruments de musique, 1912 Portrait inachevé de Mozart, Joseph Lange, 1789

 

Vous venez de revoir, à la télévision, le célèbre film de Forman, Amadeus, et vous êtes à nouveau sous le choc de la mort dramatique du génial compositeur. A-t-il été assassiné? Ce n'est pas exclu, l'affaire reste très obscure. Mais ce n'est pas un seul film qui peut suffire à cerner le mystère de Mozart. Il en faudrait vingt, trente, cinquante, et c'est pourquoi sa Correspondance complète est indispensable. Gloire, donc, aux Editions Flammarion de l'avoir rééditée en un seul volume (au lieu des sept précédents). Comme vous entrez dans la crise, il vous faut du sûr, du solide. Inutile de vous disperser; le vrai roman passionnant est là.

 

  C'est un monument extraordinaire de 1900 pages, qui permet de corriger les clichés et les idées reçues, notamment romantiques. Le père de Mozart, d'abord, Leopold. Quel type fabuleux, quelle activité inlassable comme imprésario de son fils prodige ! Ce Wolfgang est un trésor envoyé par Dieu, et on tremble pour sa santé à travers les voyages. A 9 ans, à La Haye, « il est dans un état si misérable qu'il n'a plus que la peau sur les os». A Munich, « il n'a pu mettre un pied par terre ni remuer le moindre orteil ni les genoux, personne ne pouvait le toucher et il a passé quatre nuits sans dormir ». Va-t-il pouvoir jouer au clavier et attirer la curiosité et l'admiration unanimes ? On meurt beaucoup, en ce temps-là, la variole décime les enfants. Mais Leopold veille, s'occupe de tout, accumule des notes d'une précision étonnante. C'est un musicien, un violoniste expérimenté, et surtout un organisateur de premier ordre. Le divin « Wofgangerl » stupéfie l'Europe, il joue sans arrêt et n'en finit pas de composer. À 12 ans, il a déjà un catalogue de plusieurs pages, sonates, symphonies, trios, messes, petit opéra. Bien entendu, cette irruption d'enfance inspirée déclenche des jalousies et des cabales multiples. On accuse le père de prostituer son fils. Toute la vie de Mozart sera une guerre incessante.

 

  Le voici en Italie, il a 14 ans, et c'est l'éblouissement. Il écrit beaucoup à Nannerl, sa sœur aînée, sa «petite sœur chérie». Décidément, ce garçon est étrange. Voyez cette lettre de Vérone, en 1770 : « Quand on parle du diable, on en voit la queue. Je vais bien, Dieu merci, et brûle d'impatience de recevoir une réponse. Je baise la main de maman, envoie à ma sœur un baiser grassouillet, et demeure le même... mais qui ? Le même guignol, Wolfgang en Allemagne, Amadeo De Mozartini en Italie. » Ou de Rome : «Je suis en bonne santé, Dieu soit loué, et baise la main de maman comme le visage de ma sœur, le nez, la bouche, le cou, ma mauvaise plume, et le cul s'il est propre. »

On a beaucoup glosé sur les fantaisies scatologiques de Mozart avec sa «petite cousine », sa « très chère petite cousine lapine », qu'il appelle, d'une façon clairement incestueuse (elle a le même prénom, Maria-Anna, que sa mère et sa sœur), « ma très chère nièce, cousine, fille, mère, sœur, épouse ». Il faut croire que les corps de cette époque, très peu XIXe siècle, étaient moins embarrassés par la crudité organique: «Je te chie sur le nez, et ça te coule jusqu'au menton.» Mozart est fou, il écrit n'importe quoi, il s'en fout, il invente l'écriture automatique. C'est un surréaliste débridé, dont on peut augurer qu'il ne respectera rien ni personne. Musique ! Musique ! La communication suivra !

 

  Le petit Mozart, à 6 ans, avait épaté Versailles. Le revoici à Paris, à 22 ans, mais il trouve les Français très changés, devenus grossiers, et incapables de sentir la musique. « Je suis entouré de bêtes et d'animaux. » « Donnez-moi le meilleur piano d'Europe, mais comme public un audi­toire de gens ne comprenant rien, ne voulant rien com­prendre, ou qui ne ressentent pas avec moi ce que je joue, et je perds toute joie. »

 

À partir de 1780, le grand Mozart commence. Voici ce qu'il dit de son opéra « Idoménée » : «J'ai la tête et les mains si pleines du troisième acte qu'il ne serait pas impossible que je me transforme moi-même en troisième acte. » Sa vie est un opéra fabuleux. Il se libère de Salzbourg et de Leopold, devient le premier musicien libre, établi à son compte. Il se marie avec Constanze Weber, «deux petits yeux noirs et une belle taille ». Contrairement à la légende romantique, il est très heureux avec sa femme qu'il appelle « Stanzi Marini ». Et c'est le succès des Noces de Figaro, surtout à Prague : « On ne parle que de "Figaro", on ne joue, ne sonne, ne chante, ne siffle que "Figaro". » Même succès, dans la même ville avec « Don Giovanni », en 1787, l'année de la mort de Leopold (sa mère, elle, est morte à Paris, en 1778, et ses restes doivent se trouver quelque part du côté de l'église Saint-Eustache). Autre film à faire : la rencontre, à Prague, pour la première repré­sentation de « Don Giovanni », de Da Ponte (le librettiste), Mozart et Casanova, venu en voisin de son petit château d'exil en Bohême. Ce trio d'enfer fait rêver, d'autant plus que Casanova a mis la main au fameux « Air du catalo­gue ». Aucun doute, la révolution est là.

 

  Les Viennois ne sont pas d'accord, la bonne société le boude. Plus Mozart travaille, moins il gagne d'argent. Ici apparaît un personnage étonnant, Puchberg, frère de loge du franc-maçon Mozart. Il a de l'argent, lui, il fait commerce de soieries, rubans, mouchoirs, gants. Mozart n'arrête pas de lui demander des prêts de façon urgente. Pourquoi à ce point? Pour régler des dettes de jeu? C'est probable. Ces lettres sont des appels au secours. Mozart est malade, sa femme est malade, il se dit « écrasé de tourmente et de soucis ». «Je n'ai pu, de douleur, fermer l'œil de la nuit. » Le brave Puchberg envoie de l'argent, la somme empruntée par Mozart en quatre ans est astronomique. On se demande, dans ces conditions, comment il a pu composer ce chef-d'œuvre de lumière qu'est Cosi fan tutte. « Venez à 10 heures demain chez moi pour la répétition », écrit Mozart à Puchberg, il n'y aura que Haydn et vous. Autre film à faire : l'admiration réciproque et l'amitié entre Joseph Haydn et Mozart.

 

  L'histoire du Requiem, bien sûr, dont il ne parle jamais, mais surtout La Flûte enchantée, un grand suc­cès populaire, le 30 septembre 1791 (simultanément  La Clémence de Titus  triomphe à Prague). Deux mois avant sa mort, Mozart va très bien, et il est impossible de ne pas être ému en le voyant manger de si bon appétit, boire un café « enfumant une merveilleuse pipe de tabac ». Il aime plus que jamais sa « trésorette », à qui il écrit : « Très chère petite femme de mon cœur! » Tout indique qu'elle aime et comprend sa musique. Il lui écrit encore : « Dieu te bénisse, Stanzerl, coquine, petit pétard, nez pointu, charmante petite bagatelle.» Et aussi: «Je me réjouis comme un enfant de te retrouver, si les gens pouvaient voir dans mon cœur, je devrais presque avoir honte. »

 

« Je peux faire un opéra par an », écrivait Mozart à son père. Et ceci à propos des «cabales» : « Ma maxime est que ce qui ne m'atteint pas ne vaut pas la peine que j'en parle. Je n'y peux rien, je suis ainsi. J'ai honte au plus haut point de me défendre lorsque je suis accusé à tort, je pense toujours que la vérité finira par éclater au grand jour. »

Mozart est ce grand jour.

 

PHILIPPE SOLLERS

 

Le Nouvel Observateur du 19 janvier 2012 - n° 2463

 

 

WOLFGANG AMADEUS MOZART est né à Salzbourg le 27 janvier 1756. Dès 3 ans, il révèle des dons exceptionnels pour la musique. À 6 ans, l'enfant prodige entame avec son père une tournée des capitales européennes et compose ses premières œuvres: il y en aura 626 (catalogue Köchel). Il meurt le 5 décembre 1791.

 

  Voir aussi

Philippe Sollers, Mystérieux Mozart, Folio n°3845

Philippe Sollers, Mystérieux Mozart, Folio n°3845

 

 
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