Philippe Sollers
 

Philippe Sollers et Dominique Rolin : une communion littéraire

 

Le Figaro du 16 novembre 2017

Par Mathieu Terence

 

  Philippe Sollers et Dominique Rolin : une communion littéraire

 

Les lettres que Philippe Sollers a adressées à Dominique Rolin de 1958 à 1980 nous plongent au cœur du voyage fabuleux de complicité qu’ils ont baptisé « l’axiome ». Ici aucune valeur amoureuse n’est indexée sur la mélancolie. Pas de dépendance, pas de chantage « à la vie à la mort », pas d’assignation à existence, pas de fusion régressive, mortifère. « C’est la première fois, avec toi, que j’aime vraiment ma différence », écrit-il.

Aucun devoir conventionnel, mais le désir choisi. Aucune religiosité sentimentale, mais le culte du beau simplement célébré au quotidien. Cela donne une brasse coulée dans le temps tout ce qui concourt à la recherche de sa vérité coïncide en permanence.

« L’axiome » donne des ailes. Il s’agit de lui en donner plus encore car « ceux qui l’entravent, il leur échappe toujours plus ». C’est l’harmonie trouvée, le duo d’accord à volonté. « L’aventure ça a été de sortir l’un de l’autre de nos cercles infernaux (familiaux, reproductifs) pour aller à l’air libre (cet air que personne ne peut respirer, ni accepter que quelqu’un respire). »

À la transversale de Paris, et de la maison de Le Martray Sollers loge, l’île de et Venise seront les deux pôles de leur vie magnétique. Quand ils se rencontrent, il a vingt-deux ans, elle quarante-cinq et « en paraît dix de moins ». C’est la plus belle femme qu’il a jamais vue. L’entente est immédiate. Rien ne viendra la troubler vraiment, pas même le mariage de Sollers avec Julia Kristeva en 1967. La confiance de celui-ci en leur bonne étoile semble alors irréductible : « Nous ne pouvons pas entrer dans le malheur, car le malheur est une infirmité », et « rien n’est finalement, n’a été, ne sera sordide dans ma vie. Nous avons un trésor ».

Les événements du monde sont pareils à des épisodes dans le vif du feuilleton de ce qui est aussi un extraordinaire document sur une époque et sur la façon de la vivre en liberté. C’est bien la littérature qui innerve ces vingt-deux premières années picaresques. Les lectures de fond se multiplient. À chaque fois c’est perçant, lumineux, subtil, nerveux, métabolisé en direct. Voilà sa « théorie des exceptions » qui s’élabore : « Ce qui me frappe c’est combien à une certaine profondeur de pensée, tous les individus disent la même chose. »

Au détour d’une lettre, une confidence sur son père : « Je ne connais pas de victime plus parfaite de la mécanique bourgeoise. Forcé d’être père de famille, forcé de tenir son rang, forcé d’être industriel. » Sa tangente est prise depuis longtemps : « Je suis insupportablement optimiste, tout à fait en dehors de ce petit monde bien ou mal fabriqué. » Et puis : « J’ai l’idée de refaire autant que possible le parcours du français de Villon à aujourd’hui. » À lire les essais et les romans que Sollers a publiés depuis, on a le droit d’estimer que la mission est accomplie.

L’essentiel n’est pourtant pas . La correspondance est le lieu élu Sollers écrit et s’écrit, mais elle est surtout le prisme par lequel on comprend qui est Dominique Rolin pour lui, et qui est cette femme plus secrète que son éclat ne le laisse savoir. D’une part, les parutions de leurs livres respectifs tressent entre eux un fil de sens révélateur, et c’est l’intense émulation : « Ton travail, de loin, me rend physiquement heureux », « c’est à toi que j’écris mes livres, tu sais ». D’autre part, fusent les encouragements infaillibles : « Tu me rends si libre ma chérie », « ton livre est admirable, ce qui veut dire que la force qui te porte inconsciemment au-delà de tes doutes, de tes angoisses, est admirable. »

On dirait que leur rencontre est incessante : « Nous savons bien que nous devons tout à la chance énorme, violente, calme, volumineuse et infime, présente partout entre toi et moi. » Sollers obtient de Dominique Rolin une approbation attentive, gourmande, exigeante. « Tes lettres me sont précieuses. Elles me donnent envie de mériter leurs louanges. »

Elles sont aussi l’occasion pour leur auteur de se préciser, de s’élucider, de s’acérer. C’est une conversation continuée, sans médisance, sans souci de société, sans perte de temps, mais avec la littérature comme axe central, et les moyens d’être à sa hauteur pour instruments de bord. Tout ce qu’il aime lui parle d’eux. « L’axiome » : « Savoir et se dire que nous sommes gais, miraculeux, au-delà du Tibet lui-même, dans la lune, la voie lactée, et tous les soleils, bleus, jaunes,étoilés dans la respiration du vide. »

 

Mathieu Terence

 

Des amours en quatre volumes

Les Éditions Gallimard ont entamé la publication de la correspondance de Philippe Sollers avec Dominique Rolin (décédée en 2012), l’on retrouve le parcours créatif au sens large des deux écrivains amants. Elle est constituée de quatre volumes. Le premier volume couvre la période 1958-1980 et présente uniquement les lettres adressées par Sollers. Le deuxième, à paraître début 2018, est réservé aux missives envoyées par Dominique Rolin,et ainsi de suite.

 

Le Figaro du 16 novembre 2017

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