Juillet 2007

PHILIPPE SOLLERS

Le Journal du mois

 

Sarkozius I

Avouez que, malgré les horreurs ambiantes, on s’amuse en France, puisque la Société du spectacle a trouvé dans ce pays son représentant idéal : Nicolas, l’homme-orchestre aux mille interventions et apparitions, le nouvel empereur global. Quelle santé ! Quelle alacrité ! Quelle joie ! Quelle angoisse ! C’est beau comme le fonctionnement lui-même, puisqu’on peut, heure par heure, observer le travail. On le croit ici, il est là-bas, là-bas, et il est ici, envolé ailleurs, et le revoilà. Difficile d’être plus bosseur, tournicoteur, coureur, fonceur, défonceur. Je le vois en consul romain, Sarkozius, rentrant dans la capitale avec ses légions, lui qui est né modestement aux confins de l’empire. Le triomphe de Sarkozius s’est fait démocratiquement contre Chiracus et Villepinus. On a tenté de l’étouffer, Sarkozius, de le marginaliser, de le mouiller dans de sombres affaires. Il expiait ainsi son ancien soutien à Balladurus, éliminé de façon peu claire par Chiracus et Villepinus. On stigmatise alors Sarkozius, on le déclare pestiféré "à droite" (comme on disait à l’époque), on le contient, on le surveille, on l’emploie parce qu’il est utile, on tente de le fatiguer, mais il résiste à tout, et même à une étrange défection de sa femme, en plein combat. Peu à peu, dans l’ombre, il se redresse, s’organise, tisse ses réseaux de conjurés intérieurs, grâce à Guéantus, surnommé "le grand calme". Il peut compter sur des soldats éprouvés qui attendent des places (leur solde est maigre, l’Histoire n’avance pas). C’est là qu’il affronte la belle Ségolénia, fille symbolique et têtue du vieux Mitterrandus. Elle a ses partisans, elle enflamme des foules, fait frémir le Forum. Mais Sarkozius ne faiblit pas, les légions non plus. Et c’est la victoire, l’arrivée du Consul au pouvoir (Bonaparte, avec le succès que l’on sait, l’imitera plus tard). Pouviez-vous croire qu’il allait s’enfermer, se bunkériser, s’endormir ? Sarkozius ne dort pas, il agit, même en rêve. Et c’est là qu’il déploie ses talents stratégiques, qui lui ont valu l’admiration de ses cohortes. Il déclare aussitôt "l’ouverture", autre nom d’une fermeture à triple tour. Il achève le vieux Le Pénus, mais surtout s’attaque au parti d’opposition traumatisé par sa défaite. Ségolénia est isolée, Sarkozius perce. Son mouvement, dit "enveloppement par les ailes", est désormais étudié dans toutes les écoles militaires. Napoléon s’en souviendra, et Clausewitz en théorisera les dégâts.

Sarkozius II

Balladurus rêvait, Chiracus et Villepinus ne pensaient qu’à se maintenir, Ségolénia ne voyait que sa propre étoile, Sarkozius, lui, travaille. Son réseau d’informations force, aujourd’hui encore, l’admiration des spécialistes. Ses adversaires, d’ailleurs prudents, l’accusent de pratiquer une politique du "coup d’éclat permanent". Coup d’éclat, c’est bien la moindre des choses dans l’ère spectaculaire. Le coup d’Etat, désormais, est publicitaire, et ceux qui s’en plaignent, en voulant restaurer le sérieux d’autrefois, ne comprennent rien au phénomène. Quelle naïveté ! Sarkozius sait tout, sonde tout, les reins, les coeurs, la valeur travail, la Bourse. Il connaît les désirs, les ambitions et les faiblesses de chacun. C’est Big Little Brother à la manoeuvre. Il prend, comme il le dit lui-même, "le réel à bras-le-corps", voyez d’ailleurs ses bras et ses mains électriques. "Il mouille sa chemise", ajoute la belle Rama Yade, éblouie. Ce n’est pas Yasmina Reza qu’il lui faut comme biographe, mais Salluste, Tite-Live, Tacite, les grands noms latins. Tout en douceur il attire Glucksmanus, depuis longtemps vulnérable, manque Bernardus-Henricus Levius, enlève Kouchnerus qui veut être proconsul à l’Est, rapte Strauss-Kahnus et l’envoie à l’Ouest, chope Langus au passage, place Védrinus en réserve. On a parlé du ralliement du consul Fabius, mais il tarde. Jospinus est en exil, Hollandus est chassé de chez lui par l’implacable Ségolénia. C’est la panique. Que voulez-vous que fasse une génération sacrifiée de bons légionnaires, les Montebourgus, les Vallsus, les Peillonus ? Ils parlent de "rénovation", ils sont sur des ruines.

Sarkozius III

Enveloppement par les ailes, écrasement du centre (pauvre Bayrounus en fuite, "mon royaume pour un tracteur !"), force et rapidité de l’exécution, de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace. Sarkorzius, une fois couronné, nomme un certain Fillonus à la figuration taciturne, mais, en réalité, Guéantus surplombe la scène. Les potiches raflées font déjà la gueule ? Qu’ils la bouclent, et se contentent d’être sur la photo. Le 14-Juillet, défilé des légions, chacune avec son fanion régional. L’Empereur, au comble du bonheur, désigne sa femme au peuple : "N’est-ce pas qu’elle est belle ?" La première dame de l’Empire n’a pas l’air convaincue, mais elle est là, elle sera de plus en plus là, on a des rôles pour elle dans le grand film en cours. Film étonnant où Sarkozius, un peu à la Louis de Funès (célèbre acteur de l’époque), fait merveille de façon planétaire. On le voit avec Bush, il est déjà avec Poutine, le meilleur moment étant celui où il s’amuse, comme un enfant, avec la grosse Angela Merkel. Nicolas ! Angela ! Dans nos bras ! Les voilà en train d’échanger des maillots d’Airbus, ils sont à la récré, les employés n’en croient pas leurs yeux, mais ça marche. Le dernier grand coup d’éclat, ce sont les infirmières bulgares. Cécilia est parfaite, Sarkozius a un rêve africain, il ira voir le super humaniste Kadhafi à Tripoli, mais, croyez-moi, Kadhafi, bien fol est qui s’y fie. L’opéra du futur ne s’appellera plus Cosi fan tutte, mais Sarko fa tutto. Bravo.

Benedictus

Pendant ce temps-là, le vieux pape Benedictus essaie de rassembler ses troupes. Sarkozius se dit catholique, bien sûr, mais enfin on ne sait jamais. "Le pape ? Combien de divisions ?", dira plus tard un autre Empereur. Il faut reconnaître que les ouailles de Benedictus sont un peu déboussolées, surtout en France. La plupart pensent qu’elles font désormais partie d’une vaste amicale humanitaire, et Benedictus est obligé de leur rappeler un peu de latin. Scandale dans les sacristies, régression, retour en arrière ! Benedictus tombe dans le fanatisme intégriste, c’est un réactionnaire démasqué. La Gazette de l’Empire n’a pas de mots assez durs pour lui faire la leçon. Mais il y a pire : Benedictus, non content de remettre du latin dans son vin, fait savoir que son Eglise "est la seule et unique Eglise du Christ". Après les progressistes du monde entier, voilà qu’il se met à dos les protestants et les orthodoxes, et ça fait du monde. Je vois par exemple qu’un pasteur ghanéen est secrétaire général de la Fédération luthérienne mondiale (140 Eglises, représentant 70 millions de chrétiens). A Genève, c’est le Conseil oecuménique, qui regroupe 347 Eglises protestantes, anglicanes et orthodoxes. Benedictus est très mal jugé : il va se faire tirer les oreilles. Heureusement, le dernier Harry Potter s’est vendu, le premier jour de sa publication, à 20 millions d’exemplaires. Ça s’appelle Harry Potter et les reliques de la mort. Les enfants en sont fous, et les parents, ces grands enfants attardés, aussi. Les six premiers livres de la série en sont à 325 millions d’exemplaires. La productrice, nous dit-on avec émerveillement, est maintenant "plus riche que la reine d’Angleterre". Il paraît que la reine d’Angleterre s’en fout, mais c’est comme avec Benedictus : ces gens croient dur comme fer à leur passé comme à leur avenir. Des fous curieux, dans leur genre.

Lettre

Un ami, légèrement déprimé, m’envoie cette citation de Tocqueville : "On peut prédire qu’il ne restera de grandeur intellectuelle que chez ceux qui protesteront contre le gouvernement de leur pays, et qui resteront libres au milieu de la servitude universelle. S’il y apparaît de grands esprits, ce ne sera pas parce que rien ne se fait de grand dans le pays, mais parce qu’il se trouvera des âmes qui conserveront encore l’empreinte de temps meilleurs."

Philippe Sollers

Le Journal du Dimanche du 29 juillet 2007.


 

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