avril 2007

PHILIPPE SOLLERS

Le journal du mois

 

Génétique


Le mauvais rêve du mois dernier continue. Après mon interrogatoire éprouvant au ministère de l’Identité nationale, me voici maintenant convoqué au ministère du Contrôle génétique. Le nouveau président de la République française, Nicolas Sarkozy, vient de l’inaugurer, et ça va chauffer. On se souvient de son entretien, dans un très curieux support branché, Philosophie Magazine, avec le plus célèbre philosophe d’aujourd’hui Michel Onfray, lequel, partisan de José Bové puis d’Olivier Besancenot, était quand même allé, place Beauvau, offrir au futur président des livres de Michel Foucault, Nietzsche, Freud et Proudhon. Sarkozy les a lus, bien sûr, de même que tous les livres d’Onfray et, depuis, comme on sait, ils sont partis en vacances ensemble. Les voilà de retour, joyeux, très bronzés, finalement complices dans l’art de vivre au sommet, au soleil.

Avant ma comparution, qui s’avère difficile, je parcours les déclarations du nouveau Président, à la veille des élections, dans Libération. Les propos ont fière allure : « Je suis né hétérosexuel. Je ne me suis jamais posé la question du choix de ma sexualité. C’est pour cela que la position de l’Eglise consistant à dire que l’homosexualité est un péché est choquante. On ne choisit pas son identité. » J’en conclus que non seulement on naît hétérosexuel ou homosexuel, mais qu’il en va de même pour les pédophiles, les suicidaires, les autistes, les délinquants repérables dès l’âge de trois ans, et enfin les migraineux auxquels le Président dit appartenir, de même que sa mère et ses fils. Je suis inquiet, car je sais qu’Onfray, chargé de rédiger des notes de service, m’a plusieurs fois dénoncé comme catholique, c’est-à-dire partisan du péché. Je m’interroge : suis-je né hétérosexuel? Sans doute, mais de quel type? Autrement dit : le président va-t-il me reconnaître comme un des siens, alors qu’Onfray insiste lourdement sur mes vices ? Mon attirance politique instinctive pour Ségolène Royal ne pèse-t-elle pas très lourd dans mon dossier? La première réaction de Ségo m’a fait frémir : elle a dit que, sur ce sujet, elle laissait la science trancher. Mais, dans mon cas, si particulier, la science redouble mes craintes. Mes livres, passés au scanner rapide, peuvent me valoir une condamnation expédiée. Hétérosexuel, peut-être, mais pas dans la norme. Ah, l’heureux temps d’autrefois, où le président Mitterrand, me prenant à part dans un clin d’œil, me disait qu’il était en train de lire Casanova : « Bienvenue au club », lui ai-je soufflé, à l’époque. Une terreur me saisit : dois-je avouer désormais que j’ai été, enfant, coupable de pédophilie sur moi-même? Faut-il que j’en sois honteux ? Les temps sont durs, et je tremble un peu de me retrouver devant le Président et son philosophe, car je n’ai pas oublié, avant l’élection, la chevauchée, en Camargue, du premier sur son cheval blanc.

Spermatozoïdes


Le Président est cordial, il a une autre idée en tête, il a lu dans Le Monde 2 les conclusions d’un épidémiologiste courageux, Alfred Spira, sur la diminution, en un demi-siècle, du nombre de spermatozoïdes produits en moyenne par un homme occidental. Le résultat est accablant, il n’en reste que la moitié. D’où la question : l‘homme est-il une espèce en voie de disparition? Le mâle occidental, qui ne produit que la moitié de spermatozoïdes de son grand-père, peut-il survivre dans ces conditions? Et d’où vient ce qu’il faut bien appeler cette sorte de génocide? De la pollution chimique? D’un nouveau cycle biologique? Du stress? De mauvaises lectures ? Au passage, je rappelle au Président qu’un millilitre de sperme contient entre 90 et 100 millions de spermatozoïdes, mais je sens la migraine m’envahir devant ces chiffres dont la rigueur scientifique me pompe. Le Président, lui, semble intéressé par le fait, prouvé, que, sous l’effet des rayonnements ionisants de la haute atmosphère, les pilotes et les stewards conçoivent davantage de filles. On connaît d’autres facteurs d’appauvrissement spermatique : le tabac, la marijuana, l’alcool, la position assise prolongée qui comprime les testicules entre les cuisses et élève leur température, déficit observé chez les chauffeurs de camion, de taxi et les écrivains. Avec un fin sourire, le Président me demande si je ne suis pas inquiet pour ma virilité. A ce moment-là, Onfray surgit dans son bureau et, me voyant debout devant le Président, hurle «papiste !». Je me réveille une nouvelle fois en sueur, mais heureusement il fait beau.

Pape


Le Diable existe-t-il ? On se le demande à propos du tueur coréen en action sur un campus de Virginie (32 morts), mais Jonathan Littell, un expert, nous assure qu’il s’agit d’un écrivain qui n’a pas pu s’exprimer jusqu’au bout. Benoît XVI hoche la tête, et contre-attaque sur la question des bébés non baptisés. Avant, ils allaient dans les limbes, ni sauvés ni damnés, dans une bordure de l’enfer déjà comble. Terminé : ils iront maintenant droit au paradis. Ça fera du monde, mais la mesure est progressiste, même si tardive. Cependant, il y a plus drôle. Dans un article plutôt réprobateur du Nouvel Observateur, je vois repris un article italien de gauche disant qu’on « se souviendra de Benoît XVI comme d’un pape désespéré. Chacune de ses paroles est inspirée par une vision sombre, quasi wagnérienne de la société ». Ici, le comique et la désinformation augmentent. Reprenant ce propos, Marie Lemonnier et Marcelle Padovani ne craignent pas en effet d’écrire : « Wagner ? Benoît XVI est un fervent admirateur du créateur du Crépuscule des dieux. A Rome, certains critiquent son goût trop prononcé pour la culture allemande... Aux dîners conviviaux, il préfère les tête-à-tête avec don Gänswein, son secrétaire particulier, un grand Bavarois aux yeux bleus de 50 ans. »

Pauvre Benoît XVI ! Il n’a pas cessé, depuis son élection, de rappeler sa prédilection pour Mozart, dont il joue très bien les sonates au piano. Peine perdue, personne ne veut enregistrer cette information, pourtant capitale. Suivez mon regard: Wagner, culture allemande, secrétaire masculin particulier aux yeux bleus, l’affaire est entendue, nous sommes chez les Damnés eux-mêmes.

Chine


Depuis la restitution de Macao à la Chine, on observe l’ahurissant phénomène suivant : Macao, l’enfer du jeu et du vice, détrône Las Vegas comme capitale des recettes de casinos. Macao, en 2006 : 7,2 milliards de dollars. Las Vegas : 6,6 milliards. Douze millions de Chinois sont venus ainsi s’éclater dans cette ancienne colonie portugaise. Sheldon Adelson, le milliardaire américain, a vu juste et sa performance dépasse de loin les pauvres indemnités, d’ailleurs scandaleuses, du pâle Français Forgeard. Adelson va bientôt ouvrir sur une presqu’île proche de Macao, une réplique de sa « Venise » de Las Vegas, où des gondoliers rameront sur des canaux artificiels dans le cadre d’un complexe hôtelier et de jeux comprenant 3.000 suites et 750 tables. Coût de l’investissement : 1,8 milliard de dollars.

Ce n’est pas tout : une des séries télévisées les plus attendues en Chine, la saison prochaine, se déroulera en France. Titre : Rêves derrière un rideau de cristal. Sujet : une jeune Chinoise se laisse séduire par le propriétaire d’un château de la campagne française, un riche créateur de parfums français (mais attention, d’origine chinoise) qu’elle rencontre lors d’un séjour à Paris. Il lui fera découvrir la Normandie, la Provence et les lieux les plus romantiques de la capitale.

Je m’étonne que les Chinois ne m’aient pas pris comme conseiller pour cette série prestigieuse. Mais ils vont faire des progrès. La prochaine fois, l’actrice chinoise tombera amoureuse d’un jeune et brillant aristocrate français, la fois suivante un jeune Chinois sera ébloui par une ravissante Française. Nous ne serons plus en Normandie ou en Provence, mais au bord de la Loire, ou encore dans des châteaux de vins à Bordeaux. La guest star sera Ségolène Royal, élue ou pas présidente. On la verra d’abord sur la Grande Muraille, disant sa « bravitude », et ensuite, vérité ou fiction, dans les jardins de l’Elysée. Titre de la série : La France présidente. Le film, en plusieurs épisodes, aura un succès fou dans toute l’Asie.

Philippe Sollers


Le Journal du Dimanche du dimanche 29 avril 2007.


 

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